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  • La Saison

    Coustellet, mi-caustique mi en état de choc post-traumatique après avoir vu déambuler une touriste à moitié à poil par 22° le 28 avril 2018 sous une tunique plage /piscine blanche à motifs coraux ras le popotin exposant ses placards cellulitiques au nez des riverains goguenards ! Rapide tour à L'Isle-sur-la Sorgue, la ville est au bord du bad-trip. Je ne sais pas qui les journalistes locaux vont sonder pour des papiers dithyrambiques après le passage de Stéphane BERN à Roussillon, mais la population - même celle qui a quelque chose à vendre - est unanime : trop c'est trop. Il ne manque que l'arrivée des Porsche, Ferrari, Lamborghini, Maserati, à 40 km/h au cul des camping-cars. Il y a des jours où on envie la mesure salutaire de Salins-de-Giraud pour fermer le dépotoir à ciel ouvert qu'était la plage de Piémanson, où on m'avait demandé : Mais pourquoi tu photographies "ça" ?

    Parce que je suis là. 

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    Plage de Piémanson 30 août 2014 © -IP.

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    "A la pointe de la Camargue, ils sont des centaines chaque été à jouir d'une nature restée sauvage." 

    Maria et Bibi sur leur terrasse perso, mais c'est juré: tout sera démonté à l'automne. Maria et Bibi sur leur terrasse perso, mais c'est juré: tout sera démonté à l'automne. (photo Alvaro Canovas)
     
    À la pointe de la Camargue, ils sont des centaines chaque été à jouir d'une nature restée sauvage. Aujourd'hui, ce petit eldorado est menacé.
     
    Marie a un œil tatoué sur la nuque : «Si tu racontes quelque chose dans mon dos, dit-elle en souriant, je le saurai…» La Marseillaise a de la vigueur, du bagout et un accent qui chante : «Trente  ans que je viens ici ! J’ai vendu le pain pendant dix-huit  ans, mes gosses sont presque nés dans les dunes, mes petits-enfants y ont appris à marcher… Et ils s’imaginent détruire notre “maison de la mer” de Piémanson ? Ils rêvent !» Cette plage à la pointe de la Camargue est «esquichée» – comme on dit ici – entre la mer, les étangs du parc naturel régional et les bras du Rhône. Si le camping sauvage y est toléré du 1er mai au 30 septembre, ce petit passe-droit est sans cesse remis en question. Cent  fois le site a failli être interdit aux «squatteurs». Mais ils ne se laissent pas faire, résistants pugnaces et pacifiques à un Etat et à une société qu’ils jugent trop policés.
     
    Pour rejoindre l’îlot des irréductibles, il faut emprunter une route qui longe des rizières, des roubines et des marais salants. Cul-de-sac : le bitume bute sur la plage. Au-delà, sur une langue de sable fin de 6  kilomètres, stationnent des centaines de caravanes, de camping-cars et de voitures. Aujourd’hui, la Méditerranée a des allures d’océan Indien, frisquette, houleuse, et ses vagues ont des franges d’écume baveuse. Des coquilles de tellines s’entassent sur le rivage. Pas grand-monde dans l’eau, d’un côté comme de l’autre. A gauche, il y a les naturistes ; à droite, les «textiles». Et au milieu, des visiteurs d’un jour, d’un week-end ou d’une semaine. Les habitués trouvent ces occasionnels bruyants et peu respectueux de leur éden. Bibi, lui, est un vieux de la vieille. Il s’est construit une cabane géante avec des caravanes et des morceaux de bois flotté. Elle se dresse, les pieds dans l’eau ou presque, à l’extrémité de la zone des «culs nus». De sa voix rauque, Bibi clame qu’il ne quittera son «radeau» à aucun prix : «Nulle part ailleurs on ne peut être aussi libre… Même avec tout l’or du monde !» Dans le civil, Bibi est patron de discothèque.
     
    La liberté, c’est le credo des quelques centaines de campeurs qui, comme lui, passent les cinq mois autorisés sur la plage. Un privilège que l’administration limite un peu plus chaque année : accès, durée, services, sous prétexte d’un désastre écologique. «Il y a des problèmes sanitaires, sécuritaires et environnementaux, dit Régis Vianet, directeur du parc naturel régional de Camargue. En bloquant le vent et en détruisant la végétation, les installations de campement et les activités motorisées perturbent le fonctionnement des sables, la vie des oiseaux, la dynamique des dunes. Celles-ci sont moins hautes, moins épaisses. Et la mer monte. Il y a aussi un problème de déchets et de saleté. On risque une destruction définitive du littoral actuel.» Les Robinson Crusoé contestent ces accusations. «Foutaises ! s’écrie l’un d’eux. Est-ce qu’ils vont interdire la chimie à Fos-sur-Mer ou virer les 100 000  estivants qui s’entassent sur les plages de La Grande-Motte, juste à côté d’ici ? Qui peut croire que nous polluons plus qu’eux avec nos WC chimiques ? C’est n’importe quoi !»
     
    Lucien est du même avis. Il est prêt à le jurer : «On vit en harmonie avec la nature, en symbiose. On limite l’eau qu’on puise au village, on utilise des panneaux solaires, des toilettes sèches. Tous les jours, on jette nos ordures dans les bennes, on ramasse les papiers. Sur les autres plages de la région, le soir, c’est dégueulasse. Pas ici.» Impossible de ne pas remarquer ce grand bonhomme de 61 ans. Silhouette épaisse et cheveux blancs emmêlés par les rafales du mistral. Toujours un sourire de gamin malicieux suspendu à ses lèvres gercées par le sel. Il est dans sa «véranda» en bois, écoute Claude Nougaro, raconte son arrivée il y a vingt  ans :  J’ai cru rêver, c’était un paradis sur terre.» Avec son épouse, Françoise, ils ne sont plus jamais repartis. Et résument en trois mots les clés de ce coup de foudre : tolérance, échange, partage. «Ni statut, ni charte, ni règlement. Encore moins de lois, de feux rouges ou de lignes blanches. Il n’y a pas de barrière sociale ! Médecins, chômeurs, ouvriers, retraités, on vit ensemble. Riches ou pas, on se respecte tous. On n’ennuie et on ne fait de mal à personne !»
     
    Marie-José, dite «Columbine», est la voisine de Lucien. C’est une petite dame pleine d’énergie, toujours de bonne humeur, peintre et poète amateur. Elle vient depuis quarante ans avec son mari, Jean-Marc, sympathique et farceur, surnommé «Columbo» du fait d’une ressemblance discutable avec le célèbre inspecteur de police. «On vient pour se baigner, s’amuser, décompresser, raconte Columbine. On oublie les soucis de la vie. Le cadre est idyllique, la solidarité entre nous, précieuse, et notre chambre, avec vue sur la mer, unique. C’est magique ! Pourquoi nous l’enlever ? Quelque part, ça nous appartient… même si, juridiquement, c’est faux. Ils vont prendre une partie de notre vie, nous arracher un peu le cœur.»
     
    Le crépuscule tombe dans d’incroyables orangés. L’air balayé par la tramontane, un vent froid sec et violent qui souffle depuis la terre vers le golfe du Lion, sent bon l’iode. En quelques minutes, c’est la nuit noire. Des milliers de diodes électroluminescentes multicolores illuminent la plage ; les campements ressemblent à des vaisseaux spatiaux. Tout est silence. Seul le vacarme des vagues brise ce calme. Apparent, car, à l’abri des terrasses en bois, on prépare l’apéro. Chez Juliette et Gérard, Sylvain et Lucie, Stéphane, qu’on appelle «Kéké», Céline et Christophe, Christian et Florence... les invitations ne manquent pas. Partout l’ambiance est chaleureuse, familiale et joviale. Les expressions marseillaises, difficiles à comprendre pour les non-initiés, et les éclats de rire fusent. Quelques-uns regrettent, nous disent-ils, l’époque où il y avait moins de monde et davantage de soirées dansantes. «La société a déteint sur nous. Aujourd’hui, c’est plus triste, la mentalité a changé.» D’autres sont inquiets. Bientôt, Piémanson ne sera plus. Quand disparaîtra-t-elle ? Personne ne peut le dire. En revanche, le futur projet est accepté depuis le 15  juillet.  Il s’agit d’interdire le camping pour libérer la plage, et construire, sur un des bassins adjacents, une aire de stationnement. Le flux des visiteurs ne diminuera pas, il sera différent, seulement journalier», nous révèle Régis Vianet.
     
    Bruno et Annie, tous deux très doux et calmes, campent depuis vingt  ans avec leur chienne, Abyss, et leur chatte, Léa. Ils n’imaginent pas quitter cet endroit où ils ont vu grandir leurs gosses et s’apaiser leurs maux. Sévère, Bruno est pourtant réaliste : «Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, c’est la mer qui nous chassera, pas les hommes. Chaque année, elle grignote 5  mètres. Elle va noyer notre dune, mais, à elle, on ne lui en voudra pas. On nous menace, on nous annonce le pire… Peut-être qu’on ne sera plus là l’an prochain. C’est triste qu’un lieu aussi extraordinaire disparaisse du paysage français. Il nous reste peu de temps, alors profitons-en !»

    Les Robinsons de Piémanson, le 22 août 2014,  in Paris Match

    Paris Match Actu Société - ART DE VIVRE
    Les Robinsons de Piémanson
    Paris Match | Publié le 22/08/2014 à 11h31. Envoyée spéciale à Piémanson Emilie Blachère

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