Hommage aux Dessinateurs de Presse
Le musée Skovgaard, à Viborg, ouvre une exposition sur le blasphème ce samedi 30 septembre.
Jyllands-Posten, le quotidien danois dont les caricatures du prophète Mahomet publiées en 2005 ont suscité de violentes manifestations dans les pays musulmans, regrette que ces dessins n’y figurent pas.
Le musée Skovgaard de Viborg inaugure ces jours-ci une exposition consacrée au blasphème à travers les âges. Il serait naturel d’y exposer une certaine page de l’édition du 30 septembre 2005 de Jyllands-Posten, il y a exactement douze ans. Chacun se souvient sans doute qu’un groupe d’imams intrigants, aux invectives rageuses sur le blasphème, s’était servi des 12 dessins et d’un article de cette page pour embraser tout le Moyen-Orient, organiser un boycott des produits danois et provoquer des émeutes qui avaient coûté la vie à des centaines de personnes.
Mais le musée Skovgaard a décidé de ne pas exposer la fameuse page.
Jyllands-Posten ne reprochera certainement pas cette décision au musée, qui la justifie par deux raisons. L’une est pertinente, quoique regrettable, l’autre est une mauvaise excuse.
La directrice du musée, Anne-Mette Villumsen, explique que la crainte de manifestations et d’actes de violence a largement contribué à cette décision. Elle ne souhaite pas susciter une nouvelle crise par cette exposition, a-t-elle déclaré aux médias.
C’est une raison tout à fait pertinente et que nous comprenons, même si nous la déplorons profondément. Comme on le sait, notre journal, tout comme la plupart des autres médias danois, a décidé de s’abstenir, jusqu’à nouvel ordre, de republier ces fameuses caricatures. Non pas, en ce qui concerne Jyllands-Posten, pour s’incliner devant des individus qui réagissent aux arguments par la violence, mais en raison d’une évaluation indispensable du risque de crise pouvant coûter la vie à des innocents dans le monde entier, et plus particulièrement pour protéger ses propres employés.
La directrice du musée ajoute cependant qu’elle souhaitait, même le risque de violence était absent, “renoncer à montrer les caricatures parce qu’elles ont en quelque sorte été débattues à mort”, et que c’est là sa motivation principale. Voilà une bien mauvaise excuse trouvée pour l’occasion, alors qu’il s’agit justement de décrire la notion de blasphème. Cette partie de la justification est préoccupante, parce qu’elle revient à réduire à néant la portée de la crise des caricatures qui a poussé les milieux musulmans à crier au blasphème. Après des réflexions approfondies, le procureur et le procureur général ont décidé de ne pas poursuivre le journal, mais la notion de blasphème a été actualisée. Après les importantes et violentes manifestations et les tentatives d’attentat terroriste contre Jyllands-Posten et des individus, les médias, y compris ce journal (qui était à l’origine de toute l’affaire), ont dû reconnaître à regret l’efficacité de la violence et des menaces de violence. La sécurité de nos employés et le risque de troubles d’envergure doivent peser plus lourd dans la balance que les idéaux journalistiques.
Effet d’une étincelle sur un baril de poudre
Afin de souligner la gravité de l’affaire et son propre caractère bien trempé, la ministre de l’Immigration et de l’Intégration, Inger Støjberg, a publié une photo de son iPad avec, en fond d’écran, l’une des caricatures de Mahomet. On peut discuter du bien-fondé de ce choix. Il est cependant indéniable qu’elle a le droit d’agir ainsi et qu’elle n’a de comptes à rendre à personne, hormis au dessinateur pour ce qui est des droits d’auteur. Elle savait forcément que sa démarche aurait le même effet qu’une étincelle sur un baril de poudre, et ce petit coup médiatique n’a pas manqué de susciter l’attention dans le monde.
Ainsi, les caricatures de Mahomet ont beau ne pas figurer dans l’exposition de Viborg, leur absence les rend paradoxalement bien présentes. Et même si la directrice du musée estime qu’elles ont été débattues à mort, la décision du musée de ne pas les présenter et le coup de la ministre les ont largement ressuscitées.
Dessin de Falco, Cuba.
Publié le 29/09/2017 à 17:17 par Courrier international