789x987

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

afrin

  • Nouvelles menaces d'Erdogan

    «Nous casserons les bras et les jambes de tout responsable [grec], du Premier ministre, ou de tout ministre qui osera poser le pied sur Imia» et la Grèce «connaîtrait la colère de la Turquie, pire qu'à Afrin». Abdullah Bozkurt, conseiller de l'islamiste Erdogan, financé par l'UE au titre de la préadhésion et du chantage aux migrants.

    Les deux îlots d'Imia, au large de Kalymnos, sont grecs. La Turquie a tenté de les annexer en 1996, provoquant une grave crise qui a failli dégénérer en guerre gréco-turque (un équipage d'hélicoptère grec y est mort, probablement abattu par les forces spéciales turques qui avaient débarqué sur les îlots; le gouvernement grec parla d'accident pour ne pas se trouver forcé de répliquer et éviter l'escalade) jusqu'à l'intervention américaine qui rétablit le statu quo (dans le silence assourdissant du Conseil et de la Commission de l'UE).

    En vertu de la doctrine dite des « zones grises », la Turquie qui continue à négocier son adhésion à l'UE, occupe et colonise le nord de Chypre, Etat de l'UE, et nie la souveraineté de la Grèce, Etat de l'UE, sur plus de cent îlots jusqu'au sud de la Crète, appartenant sans aucune contestation possible à la Grèce." par Olivier Delorme Romancier.

    ankara,afrin,imia,erdogan,istanbul

     

    - La "démocratie" turque connaît un nouveau recul -
     
    L’intervention militaire turque en cours contre l’enclave kurde d’Afrin a fourni au président Erdogan l’occasion de resserrer plus l’étau de la censure dans son pays, au nom de la défense de la patrie menacée. Entre unanimisme forcé et vagues d’arrestations, le maître de la Turquie met en place l’environnement qui assurera son succès aux prochaines élections.
     
    «Je ne veux pas parler de politique, juste de ce qui m’est arrivé.» Sibel Hürtas est méfiante. Elle soupèse avec prudence chacun de ses mots, entrecoupe ses phrases de longs silences. La jeune femme sait que le moindre écart de langage peut l’envoyer en prison. Le 22 janvier, deux jours après le lancement de l’offensive militaire turque contre l’enclave kurde syrienne d’Afrin, la journaliste a, comme à son habitude, republié sur son compte Twitter les messages de sa chaîne, Arti TV, un média d’opposition en exil pour lequel elle assure des correspondances depuis Ankara.
     
    Ce jour-là, Arti TV annonçait la diffusion d’entretiens avec deux députés du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche et pro-kurde) et un ancien parlementaire du parti présidentiel, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), tous trois hostiles à l’opération cyniquement baptisée par le gouvernement «Rameau d’olivier». Les tweets mettaient en exergue des propos des invités tels que «La guerre ne résout rien» ou «La Turquie se dirige vers un enlisement à Afrin». «Dans la soirée, à 22 heures, des inspecteurs en civil sont arrivés à la maison pour m’arrêter. Ils m’ont dit que j’étais suspectée de propagande pour une organisation terroriste, sans préciser laquelle, ont fouillé mon appartement et ont saisi mon téléphone sans me permettre d’appeler qui que ce soit», relate Sibel, qui vit seule avec deux enfants en bas âge.
     
    Emmenée au commissariat, la journaliste a passé quatre jours en garde à vue, parquée dans une cellule avec quatre autres femmes, les autorités judiciaires semblant se désintéresser d’elle. Brièvement questionnée par les policiers sur ses tweets, elle a finalement été libérée sur décision d’un juge, qui a ordonné son placement sous contrôle judiciaire et une interdiction de sortie du territoire national dans l’attente de son jugement. Arrestation, perquisition, garde à vue prolongée, restrictions aux déplacements… Pour la jeune femme, il ne fait pas de doute que ces procédures sont utilisées pour intimider les voix dissidentes. «Mon adresse est connue, je n’en bouge pas. Si le procureur avait voulu m’entendre, il lui aurait suffi de me convoquer, commente-t-elle. On peut dire que j’ai été “punie”, parce que nous n’utilisons pas le même langage guerrier que les médias dominants.»
     
    Si l’accusation de propagande pour une organisation terroriste par voie médiatique est retenue par le parquet, la journaliste encourt jusqu’à sept ans et demi de prison. À l’instar de Sibel, au moins 311 utilisateurs des médias sociaux ont été placés en garde à vue en Turquie depuis le 20 janvier, en raison de leurs commentaires hostiles à la guerre, et au moins 15 d’entre eux – dont un journaliste du média d’opposition Arti Gerçek – ont été placés en détention provisoire, selon les chiffres donnés lundi par le ministère de l’intérieur. Onze manifestants et deux militants d’un petit parti de gauche qui distribuaient des tracts antiguerre ont par ailleurs été écroués à Istanbul.
    La Turquie est coutumière des pics de censure et de répression de l’opposition à chaque regain d’activité militaire. Le combat de l’armée turque contre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), cible désignée de l’intervention à Afrin, a déjà donné lieu à de nombreuses opérations transfrontalières en Irak dans les années 1990 et 2000, accompagnées de vagues bien orchestrées d’exaltation patriotique.
     
    Cette fois encore, les rédacteurs en chef des médias grand public ont été convoqués dès le 21 janvier par le premier ministre Binali Yildirim pour un petit briefing en 15 points sur la notion de «journalisme patriotique», qui implique de s’adresser aux autorités turques pour «obtenir la bonne information», de «ne pas donner de visibilité aux manifestations et déclarations de structures politiques […] proches du PKK» ou encore de rappeler avec quel soin l’armée turque s’efforce de «ne pas toucher les civils». Des prescriptions appliquées sans modération par la plupart des journaux et des chaînes de télévision.
     
    Mais avec «Rameau d’olivier», l’effort de contrôle de la parole publique a franchi un nouveau palier. «Aujourd’hui, on va au-delà du contrôle de ces médias grand public. Il n’y a presque plus d’espace où les journalistes, les intellectuels et même les internautes peuvent évoquer une possibilité de résolution pacifique ou seulement dire leur scepticisme par rapport à cette opération», estime Erol Önderoglu, représentant en Turquie de l’organisation Reporters sans frontières (RSF). D’autant que les nouvelles mesures s’ajoutent à dix-huit mois de restrictions sévères à la liberté d’expression consécutives à la tentative manquée de coup d’État du 15 juillet 2016.
     
    Avec un langage d’une rare violence, les autorités «placent tous ceux qui se posent des questions, qui fournissent une autre version des faits dans la ligne de mire des médias progouvernementaux et les fragilisent devant l’opinion publique», poursuit Erol. Le président Recep Tayyip Erdogan a ainsi désigné à la vindicte populaire les membres de l’Union des médecins de Turquie (TTB), les qualifiant d’«amis des terroristes» parce que ceux-ci avaient appelé, au nom de leur « serment de protéger la vie», à l’arrêt des combats. Les onze membres du comité de direction de la TTB ont été arrêtés mardi et les locaux de l’organisation perquisitionnés. Son président, le Dr Rasit Tükel, a par ailleurs été suspendu par son université.
     
    Dans la même veine, Erdogan a dénoncé dimanche comme des «traîtres» 170 intellectuels signataires d’une lettre adressée aux députés. «Nous savons que mener une opération armée contre Afrin, qui se trouve en territoire syrien et ne constitue pas une menace pour la Turquie, ne va pas amener la paix et la sécurité dans notre pays mais va créer plus de problèmes, de destructions et de douleur», affirmait la missive, signée par des personnalités de renommée internationale telles que les écrivains Oya Baydar, Sema Kaygusuz et Zülfü Livaneli ou encore l’ex-ministre AKP de la culture Ertugrul Günay. «Vous croyez que vous valez plus que les autres parce que vous êtes des professeurs ou des artistes ? Traîtres. Inconscients. Dépravés. […] Ce qu’ils font, c’est de la fumisterie, de la bouffonnerie intellectuelle, c’est servir de boucliers humains aux terroristes», a répliqué le président lors d’un meeting à Corum (centre).
     
    La véhémence des autorités turques a déjà provoqué plusieurs dérapages, plus ou moins désirés par celles-ci : dénonciation d’artistes accusés de ne pas suffisamment encourager les soldats turcs dans un talk-show télévisé, vitres d’un journal d’opposition chypriote turc brisées par des manifestants après une une hostile au conflit, local du HDP mis à sac et incendié à Pendik, dans la banlieue d’Istanbul.
     
    Le rassemblement de l’opposition vole en éclats Scrutateur attentif de la politique turque depuis deux décennies, le chercheur français Jean-François Pérouse discerne dans cette «agressivité verbale » d’Ankara un indice de sa difficulté à justifier une aventure militaire dangereuse en territoire étranger, qui implique, selon les médias turcs, quelque 20 000 soldats et de nombreux blindés, secondés par des groupes armés de l’opposition syrienne.
    «La question de la réalité de la menace que représente Afrin pour la sécurité turque se pose. Les infiltrations à partir des monts Kandil [le quartier général du PKK, dans le nord de l’Irak – ndlr] sont connues. Il est en outre facile de justifier une attaque visant à abattre les terroristes dans leur centre névralgique. Là, c’est moins évident», indique l’ancien directeur de l’Institut français des études anatoliennes (IFEA), soulignant que le nombre d’infiltrations du PKK depuis Afrin, zone de collines gardée par des champs de mines et un mur nouvellement construit par la Turquie, «n’est pas du tout comparable» à celui des incursions opérées à travers les montagnes turco-irakiennes.
     
    La région d’Afrin est administrée, depuis le début du conflit syrien, par le Parti de l’union démocratique (PYD), qu’Ankara considère comme une émanation du PKK. La Turquie redoute la constitution d’une entité kurde syrienne autonome dominée par les rebelles le long de sa frontière et a déjà mené, entre août 2016 et mars 2017, une première opération en territoire syrien pour empêcher une jonction entre Afrin et les autres territoires sous l’autorité du PYD, plus à l’est.
     
    Mais les considérations sécuritaires ne sont pas les seules prises en compte par l’exécutif turc, qui ne fait pas mystère de sa volonté d’installer dans les nouveaux territoires «libérés» les réfugiés syriens qui se pressent en Turquie depuis 2011. Pérouse reconnaît aussi parmi les mobiles d’Ankara une tentative de redorer le blason de son armée, passablement terni par les purges post-tentative de coup d’État, et d’offrir un espace d’exposition à un complexe militaro-industriel turc en plein boom.
     
    Et il y a, bien sûr, les enjeux électoraux. En avril 2017, le gouvernement est passé tout près de l’échec lors du référendum sur la réforme constitutionnelle conférant des super-pouvoirs au président, en dépit d’une campagne inéquitable et d’un scrutin entaché par de graves irrégularités. Il n’est pas question pour lui de renouveler l’expérience en 2019, année durant laquelle se succéderont élections locales, en mars, puis législatives et présidentielle, en novembre. Rien de tel, donc, qu’une bonne guerre pour resserrer les rangs.
     
    «Cet affrontement, ces conditions de guerre permettent de prolonger le régime d’état d’urgence [en vigueur depuis le 20 juillet 2016 – ndlr]. Il permet d’aborder les élections de 2019 dans une atmosphère bien particulière, souligne le journaliste Irfan Aktan, des journaux d’opposition Duvar et Express. Le gouvernement pense qu’il va y gagner une image de sauveur.» Erdogan ne s’est pas privé d’endosser sa doudoune camouflage pour parader en chef de guerre près de la ligne de front, tandis qu’un de ses députés, Metin Külünk, rédigeait une proposition de loi visant à l’élever au rang de gazi (vétéran/héros de guerre).
     
    Outre les restrictions qu’elle justifie à la liberté d’expression, l’opération «Rameau d’olivier» a déjà fait voler en éclats les velléités de rapprochement entre les différentes composantes de l’opposition, la plupart des partis, à l’exception du HDP et de petites formations de la gauche radicale, cédant aux sirènes de l’union nationale contre l’ennemi PKK. «Notre confiance dans notre armée héroïque est totale, notre soutien à l’opération est total. Ce qui compte pour nous est la sécurité de nos frontières», a clamé Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche) au premier jour des combats. «Que Dieu donne la victoire à notre armée, qu’il vienne en aide à nos soldats», a tweeté l’ex-président Abdullah Gül, toujours membre de l’AKP mais pressenti comme un possible adversaire d’Erdogan pour la présidentielle 2019.
     
    Après de telles déclarations, un partisan de la paix pourra-t-il encore donner sa voix à un candidat du CHP ou à Abdullah Gül dans un réflexe «tout sauf Erdogan» ? «Si le CHP persiste dans cette attitude, il n’aura bientôt plus de mobile pour présenter un candidat contre Erdogan à la présidentielle. On verra alors se constituer une grande coalition AKP-CHP-MHP», répond Irfan Aktan, à peine ironique, faisant référence au Parti de l’action nationaliste (MHP, extrême droite), déjà en pourparlers pour une alliance électorale avec l’AKP et très satisfait du militarisme gouvernemental.
     
    Membre du comité central du HDP, Beyza Üstün confirme qu’il faudrait désormais «un véritable aggiornamento à la direction du CHP» pour pouvoir envisager une alliance électorale avec ce parti. Mais elle fait comprendre qu’il s’agit bien là du cadet de ses soucis. «Nous sommes balayés. Nous sommes réduits à l’impuissance», résume l’ex-députée, rappelant qu’une dizaine de parlementaires de sa formation, dont ses deux coprésidents, et la plupart de ses maires sont en détention. «Depuis plusieurs jours, nos directions départementales sont la cible d’attaques, on arrête nos responsables locaux. Nos rassemblements font l’objet de menaces», ajoute-t-elle.
     
    Dans ces conditions, les probabilités sont fortes que le HDP ne franchisse pas le seuil électoral de 10 % des voix au niveau national requis pour entrer au Parlement. Quant à la présidentielle, elle n’y pense même pas, prédisant une «élection factice pour cette présidence que Recep Tayyip Erdogan désire tant». La politicienne prédit également une installation dans la durée des opérations de l’armée turque en Syrie, qui servent si bien les intérêts du gouvernement, sans qu’il lui soit nécessaire de convoquer des élections anticipées.
     
    Le 26 janvier, le président Erdogan a bien affirmé devant les cadres de son parti que ses ambitions militaires ne se limiteraient pas à la poche d’Afrin. «Nous continuerons notre combat jusqu’à la frontière irakienne, en ne laissant derrière nous aucun terroriste», a-t-il martelé. Selon un communiqué publié vendredi par l’armée turque, qui ne donne pas de bilan des civils tués, 823 rebelles kurdes ont été «neutralisés» depuis le début de l’opération. Erdogan a évoqué jeudi «20 à 25 martyrs» côté turc.
     
    MEDIAPART, 3 FÉVRIER 2018. Istanbul - Correspondant Nicolas Cheviron

    ankara,afrin,imia,erdogan,istanbul

     

    -