Germaine Krull
Germaine Krull, née et morte en Allemagne, a vécu entre-temps dans des tas de pays et vécu une vie de roman. C'est à Paris que son art s'est épanoui, dans les années 1920-1930, et c'est sur cette période que le Jeu de Paume se concentre pour montrer une photographe qui se voulait reporter avant tout, même si des points de vue très personnels caractérisent ses images.
Après la grande rétrospective de 1999, montée à partir des archives déposées par la sœur de Germaine Krull au Folkwang Museum d'Essen et exposée au Centre Pompidou en 2000, Michel Frizot voulait "essayer de faire une exposition qui soit nouvelle" et "montrer de nouvelles images", notamment grâce à de nouveaux fonds accessibles aujourd'hui, qui n'ont pas encore été beaucoup exploités, comme le fonds du Centre Georges Pompidou acquis grâce à la donation Bouqueret, ou la collection du MoMA.
Germaine Krull, Publicité Gibbs, L'Illustration, n° 4533, 18 janvier 1930, Collection particulière © Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen
Au Jeu de Paume donc, à côté de plus de 130 tirages, dont des inédits, sont présentées les publications auxquelles elle a collaboré. Les pages des livres sont reproduites et accrochées aux murs, ce qui permet de voir plus d'images que dans une vitrine et rend leur lecture plus agréable.
Germaine Krull a eu une vie libre et mouvementée, qu'elle a raconté elle-même dans plusieurs biographies. Née allemande en 1897 dans un territoire devenu polonais en 1919, elle vit une enfance et une adolescence assez désordonnées, elle est ballottée de ville en ville et marquée par une éducation atypique, son père refusant de lui faire perdre son temps à l'école.
Germaine Krull, "Au bon coin, Paris", 1929, collection Bouqueret-Rémy © Collection Bouqueret-Rémy
Une préoccupation sociale
Elle apprend la photographie dans une école à Munich où on la surnomme "chien fou" et s'engage au côté des spartakistes, avant d'être emprisonnée à Moscou en 1921. Après un passage à Amsterdam, elle s'installe à Paris en 1926 et c'est sur ses années parisiennes, les plus fécondes, que l'exposition se concentre.Après des séries de nus, Germaine Krull photographie des installations industrielles, ponts, grues ou silos qu'elle appelle ses "fers" et qu'elle prend en contre-plongée, parfois dans l'ombre, les présentant sous un point de vue singulier.
Cohérentes avec ses engagements politiques, ses préoccupations sociales la mènent à faire des reportages sur les clochards de Paris, les ouvrières, les Gitans de la zone, les dimanches à Nogent ou les rues populaires de Marseille, sur lesquels elle ne porte aucun regard misérabiliste. Elle recherche le contact avec ses sujets et ce sont des clochards rigolards ou une fière "manouche" portant son enfant qu'elle nous montre.
Germaine Krull, "Usine électrique, Issy les Moulineaux", 1928, Amsab-Institut d'Histoire sociale, Gand © Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen
Vive la voiture
Quand Germaine Krull fait un livre de 100 photos de Paris pour un éditeur berlinois, ce ne sont pas des vues classiques qu'elle propose, qu'il s'agisse des sujets ou des angles.
Les effets esthétiques, produisant parfois une atmosphère irréelle, ne sont pas absents de son travail, même lorsqu'il s'agit de reportage : un tas de choux-fleurs aux Halles la nuit peut prendre un aspect tout à fait fantastique, tout comme les énormes tuyaux de l'usine électrique d'Issy-les-Moulineaux dans la pénombre.
Germaine Krull, "Les Halles de nuit (en toute amitié à Van Ecke)", vers 1920 - Amsab-Institut d'Histoire Sociale, Gand © Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen
Du Brésil à l'Asie
Après la guerre elle se rend en Asie, s'installe à Bangkok où elle gère un hôtel pendant 20 ans. A la fin des années 1960, adepte du bouddhisme, elle vit en Inde pour soutenir les Tibétains en exil. Si l'exposition ne s'intéresse pas aux dernières années, elle continue à photographier jusqu'au bout. Elle rentre en Allemagne chez sa sœur à 86 ans, en 1983, deux ans avant sa mort.
Pour Michel Frizot, toute sa vie Geneviève Krull a été un "chien fou de la photographie".
Germaine Krull (1897-1985), Un destin de photographe, Jeu de Paume, du 2 juin au 27 septembre 2015.