ne dit pas seulement le regret d’un temps où le monde avait une réalité propre avant que le commerce ne lui en donne un jour une autre, où la réalité du monde était aussi son charme ; elle est, pour Pasolini, l’allégorie de la disparition de la beauté dans le monde et de la beauté des corps en particulier, de la possibilité de l’amour plus exactement. Et cela ne peut être mis au compte d’un quelconque passéisme. Que la beauté ait disparu ne suppose pas que tout ce qui existe désormais est objectivement laid, mais que la transformation progressive de toute existence vivante en objet (ce sera le thème sous-jacent du film Salò et de l’ensemble des textes polémiques de Pasolini) est une horreur devant laquelle il est normal d’avoir peur et de ressentir du dégoût. C’est dans l’Europe entière, et pratiquement au même moment, que les lucioles ont disparu. Elles étaient une étrangeté nocturne fascinante et tout ensemble une expérience d’immersion dans un temps continu qui nous reliait à l’aube de l’humanité par une même émotion devant ces étoiles dansantes descendues à hauteur de visage, ces lumières amoureuses se poursuivant dans la nuit comme des êtres surnaturels.
Ce rejet de l’époque – intransigeant et sans réserve – qui parcourt toute son œuvre, ce n’est pas, comme on l’entend dire quelquefois avec une légèreté mondaine d’écervelé, l’aspect «engagé» de Pasolini, comme si l’engagement était une chose séparée et identifiable en tant que telle ; c’est l’œuvre même, c’est sa puissance, sa nécessité interne, sa raison d’être : «Les actions de la vie/ ne seront que communiquées,/ et seront, elles, la poésie,/ puisque, je te le répète,/ il n’y a pas d’autre poésie que l’action réelle…», écrit-il en 1966 à New York dans Qui je suis, autoportrait en forme de poème. (...). CAIRN.INFO
Avignon, 22 novembre 2014 © -IP.
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